Loi Thomas
Le choc des empires
L’Histoire ne meurt jamais vraiment. Elle peut bégayer mais sans jamais se répéter à l’identique. Le monde semble renouer avec le temps des Empires après avoir connu une période de mondialisation entre les années 1990 et 2010. Les nouveaux empires ne sont pas ceux issus des légions romaines ou des caravelles ibériques, mais des empires reposant sur trois forces : l’économie, la technologie et le militaire. La Chine de Xi Jinping incarne le plus clairement ce retour. Pékin n’entend plus seulement être « l’atelier du monde » mais bien redevenir le centre d’un ordre régional et, à terme, mondial. Les Nouvelles routes de la soie rappellent les réseaux commerciaux des dynasties passées, mais elles ne se limitent pas au seul projet d’infrastructures. Elles dessinent une sphère d’influence où normes, investissements et dettes tissent une toile d’allégeance. Pour Pékin, Taïwan, la mer de Chine méridionale ou encore l’Asie centrale ne sont pas de simples voisinages. Ce sont les marges naturelles d’un empire en expansion qui entend avoir une influence mondiale.
La Russie, par sa géographie, par la mémoire des Tsars comme de l’URSS, entend oublier les affronts des années 1990. Son territoire est le plus vaste du monde. Le pays dispose toute à la fois d’une énergie et de matières premières abondantes. Sa puissance militaire en Europe lui procure un avantage stratégique de première importance.
Les États-Unis, enfin, sont un empire paradoxal. Ils le sont par leur puissance économique et militaire, incomparable ; par leur monnaie, qui demeure l’axe central de la finance mondiale ; par leur culture, qui imprègne écrans, musiques, modes de vie. Mais ils sont aussi traversés par une tentation récurrente : l’isolationnisme. Depuis leurs origines, les Américains oscillent entre l’envie d’embrasser le monde et le désir de s’en protéger. La doctrine Monroe, formulée en 1823, posait déjà ce dilemme : « L’Amérique aux Américains ». L’Europe devait s’abstenir d’intervenir sur le continent américain ; en retour, Washington promettait de ne pas se mêler des affaires du Vieux Continent. Mais cette promesse n’a jamais résisté longtemps à la réalité des intérêts économiques et stratégiques. Deux guerres mondiales, la guerre froide, puis la mondialisation ont définitivement fait basculer les États-Unis dans une vocation impériale. Leur soft power – Hollywood, Silicon Valley, Harvard – complète leur hard power – bases militaires, porte-avions, sanctions extraterritoriales. Aujourd’hui, Donald Trump illustre parfaitement le dilemme américain. Sa stratégie commerciale comme militaire indique néanmoins clairement qu’il privilégie une vision néo-impérialiste à travers la soumission du reste du monde aux règles qu’il promeut.
Ainsi, nous vivons un moment singulier : loin de l’illusion d’un monde post-impérial, le XXIᵉ siècle est redevenu un théâtre d’empires. Chacun revendique une zone d’influence : Pékin en Asie, Moscou en Eurasie, Washington à l’échelle planétaire. Ces empires se croisent, se heurtent, s’observent, dessinant une géopolitique fragmentée où le droit international peine à s’imposer.
Pour l’Europe, le constat est sévère. Elle demeure une puissance économique et commerciale de premier plan mais elle n’est pas, loin de là, un empire. Elle est fragmentée. Elle ne dispose pas d’une réel budget fédéral et encore moins d’une armée. L’intégration communautaire ne suffit pas à lui donner une cohérence stratégique.
Jean-Pierre Thomas – Président de Thomas Vendôme Investment